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Les notes d'analyse

Au Pakistan, la difficile unité nationale face au désir d’indépendance du Baloutchistan.

  • Emile Lecras
  • 31 déc. 2024
  • 4 min de lecture
Quai de la gare de Quetta après l’explosion du 9 novembre. Source : AFP-Banaras Khan
Quai de la gare de Quetta après l’explosion du 9 novembre. Source : AFP-Banaras Khan

Le 9 novembre 2024, une bombe explose vers 8h45 sur le quai de la gare de Quetta, capitale du Baloutchistan, faisant 26 morts dont 14 soldats pakistanais. L’attaque estrevendiquée par l’Armée de libération du Baloutchistan, groupe séparatiste fondé en 2000 et réclamant l’indépendance de cette province du Pakistan. Shehbaz Sharif, Premier ministre du pays, annonce que « les terroristes qui s’en prennent à des innocents en payeront le prix fort ». Le 11 octobre, 20 personnes avaient déjà trouvé la mort dans une autre attaque des séparatistes sur une mine dont ils réclament le contrôle. Deux événements qui nous rappellent la persistance des tensions qui menacent l’unité du pays, principalement entre les Baloutches et le gouvernement central. Cette région de l’ouest du Pakistan dénonce régulièrement par des attaques sa marginalisation, notamment politique et économique. Et pour cause, bien qu’elle soit la province la plus dotée en ressources naturelles, sa population demeure la plus pauvre du Pakistan, Islamabad étant réticent à lâcher du lest dans cette région hautement stratégique qui sert notamment de base arrière aux talibans afghans, aux séparatistes baloutches iraniens ou même à l’armée américaine et convoitée par la Chine dans son projet de nouvelles routes de la soie. L’occasion pour nous de revenir sur les origines de la difficile relation entre le pouvoir central et le Baloutchistan pakistanais.


Construire une identité commune par la religion


Pour commencer, attardons-nous sur les origines de ces tensions. Le Pakistan émerge le 14 août 1947 de la partition des Indes comme un Etat indépendant pour les Musulmans du Raj britannique. Multiethnique, le Pakistan adopte une forme fédérale qui ne laisse pas aux différents groupes tribaux l’autonomie espérée. Les tribus minoritaires, telles que les Baloutches, se sentent immédiatement marginalisées et victimes d’une colonisation interne de la part des Pendjabis. Dans ce contexte difficile, l’Etat central pakistanais tente de bâtir l’unité nationale en noyant les distinctions ethniques dans une identité islamique pakistanaise commune. Le pays adopte jusque dans ses manuels scolaires un mythe fondateur selon lequel Allah aurait fait parvenir la « sourate du Pakistan » face à l’enthousiasme que représentait la création d’une nation pour les musulmans du sous-continent indien. Les politiques d’islamisation sont les plus intenses au début des années 1980 lorsque Zia-ul-Haq, général pakistanais, décide après le traumatisme de l’indépendance du Bangladesh de renforcer l’islamisation de la société en s’inspirant de la charia et en réprimant l’expression des identités tribales. Zia-ul-Haq renforce considérablement le rôle de l’armée sur laquelle il s’appuie pour contrôler les provinces et contrer les montées ethno-nationalistes. Cependant, les différentes ethnies du pays ont montré une certaine herméticité à ces politiques qui ont contribué à ancrer davantage l’hostilité vis-à-vis du pouvoir central, notamment au Baloutchistan malgré le soutien fédéral à des groupes islamistes locaux.


Un gouvernement central réticent à l’autonomie.


Alors que l’Inde entend mettre la main sur la région du Cachemire, majoritairement peuplée de musulmans, et en raison des guerres passées entre les deux pays, le Pakistan, choisit de faire de son voisin un ennemi commun pour rassembler tous les Pakistanais sous la même bannière. La menace que fait peser l’Inde sur le Pakistan est si obsessionnelle qu’elle catalyse la centralisation de l’Etat pakistanais, neutralisant sur son passage toute forme d’ethno-nationalisme. L’ourdou est adopté comme seule langue officielle et le pouvoir central reprend peu à peu le contrôle sur ses provinces en révoquant leur autonomie ou en emprisonnant les dirigeants jugés hostiles. En 1955, le One Unit Scheme, qui vise à unifier les provinces du Baloutchistan, du Sindh, du Nord-Ouest et du Pendjab, est mal reçue en raison de la perte d’autonomie des provinces ethniquement très différentes. Ce système qui contribue à la domination de l’élite pendjabie dans les sphères du pouvoir perdure jusqu’à son abolition le 1er juillet 1970. Malgré l’adoption en 1973 d’une Constitution favorable aux provinces et qui prévoyait la création de différentes institutions chargées d’harmoniser les relations avec le pouvoir central, l’autoritarisme du Premier ministre Zulfikar Ali Bhutto provoqua le renvoi du gouvernement du Baloutchistan et le début d’un mouvement insurrectionnel entre 1973 et 1977.


Des tentatives d’assouplissement insuffisantes


Le 18ème amendement de la Constitution de 1973 entend rendre aux provinces une part d’autonomie dans leur gouvernance et la gestion de leurs ressources naturelles. Il est aussi prévu d’assurer un meilleur respect des quotas réservés aux provinces dans les organismes fédéraux. En conséquence, les nationalismes régionaux ont pu disposer de plus de liberté pour s’exprimer et ainsi renouer une confiance relative avec le pouvoir central.


Cependant, ces mesures demeurent insuffisantes pour les Baloutches qui continuent de s’attaquer aux représentations des structures fédérales, qu’ils perçoivent comme un instrument de domination pendjabi. Ils s’en prennent également aux populations non baloutches, comme les pachtounes venus d’Afghanistan, accusées de réduire le poids démographique des Baloutches. L’installation de bases militaires dans la province en 2003 n’avait pas diminué les tensions, malgré les excuses du gouvernement pour les exactions commises, empêchant de fait un processus de réconciliation.


Une injuste domination économique


A cette domination politique de l’Etat central s’ajoute une domination économique. Le gouvernement central s’est assuré la mainmise sur l’économie baloutche, accroissant alors le ressentiment des dirigeants provinciaux vis-à-vis d’Islamabad. Bien que riche en ressources gazières et doté de l’atout que représente le port en eau profonde de Gwadar, le revenu par habitant d’un Baloutche n’équivaut qu’à 60% celui d’un Pendjabi. Même si la province fournit la quasi-totalité du gaz pakistanais, seuls deux cinquièmes de ses habitants ont accès à l’électricité. Si le gouvernement a annoncé en 2010 vouloir rendre au Baloutchistan une partie de l’argent non perçu ou payé sous forme de taxe sur des ventes inférieures au prix du marché international, le sentiment de vivre sous perfusions du gouvernement central dans un schéma colonial demeure fort dans la province. Ces inégalités dans la gestion des ressources Baloutches avaient débouché sur une attaque d’une mine de la région le 11 octobre 2024, témoignant d’une situation toujours très tendue.


Conclusion


Pour conclure, l’attaque des séparatistes baloutches à la gare de Quetta n’est que symptomatique des relations tendues entre le pouvoir central et le Baloutchistan. Bien

qu’Islamabad ait tenté d’apaiser la situation en accordant plus d’autonomie ou en redistribuant plus équitablement les richesses, le gouvernement souhaite garder le contrôle sur le Baloutchistan qui revêt aujourd’hui un intérêt stratégique. Des dynamiques qui ne permettent pas d’entrevoir une sortie de crise dans un avenir proche, tant l’opposition est forte entre le désir d’indépendance et le maintien de cette province dans les frontières pakistanaises.

 
 
 

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