top of page
Livres de prière en hébreu

Les notes d'analyse

Dieu, l’homme noir et les cinq pourcent : la dialectique maitre-esclave comme socle fondateur d’une contre-identité musulmane afro-américaine

  • Gustave Bouillon
  • 12 déc. 2024
  • 4 min de lecture
Source : Getty Images
Source : Getty Images

“La vérité reste la vérité. L’esclavage en Afrique a été cautionné par le Vatican, mais on reste pratiquants. Délinquants et gens pieux se mêlent à nos rangs, issus d’un peuple averti”. En 2000, le groupe Lunatic, dans son album éponyme, signe le morceau Avertisseurs. Ali et Booba y déploient un portrait chargé en contradictions de l’impact de la colonisation sur leurs constructions personnelles. A la fin du premier couplet, Ali abandonne l’auditeur à une ligne cryptique : “Ne vois-tu pas se succéder les signes, des astres jusqu’à nos corps : mon bras, jambe, jambe, bras, tête ; légués par le plus Grand de passage sur cette sphère”.

Il fait ici référence aux 360 degrés de l’Homme, pilier fondamental de l’Islam anthropomorphique porté par la Nation of Gods and Earths aux Etats-Unis. Scission de la Nation of Islam fondée par Clarence 13X à Harlem en 1964, la Nation of Gods and Earths, ou mouvement des Five Percenters, porte un ensemble de croyances dont beaucoup relèvent du complot. Dans son corpus idéologique, l’observation des membres humains, dans le sens des aiguilles d’une montre, renvoie, si l’on prend les initiales de chaque mot -Arm-Leg-Leg-Arm-Head-, à Allah, témoignant d’une incarnation de Dieu dans l’homme. 


La Nation of Gods and Earths s’inscrit dans la structuration aux Etats-Unis, en marge des mouvements pour les droits civiques, d’un nationalisme noir reposant sur une méfiance à l’égard de la culture légitime, perçue comme outil de domination. Cette dernière a amené à la création d’un socle contre-culturel de l’identité noire musulmane, passant notamment par la création de groupes sectaires et l’adoption de théories complotistes. Cette identité semble, à bien des égards, reposer sur la dialectique maître-esclave, à partir de laquelle les membres de ces mouvements politiques et religieux ont construit une identité culturelle. 


Construire sur une identité effacée : 

Pour Biko Mandela Gray, professeur à l’Université de Syracuse, le passage du milieu, espace atlantique de transport des esclavagisés, se fait symbole d’une africanité effacée. Dans les cales des caravelles, les futurs afro-américains voient leur identité africaine effacée, au profit de celle d’esclave. Dans le cadre de leur exil forcé, il ne sont définis aux yeux des autres individus que par leur rapport aux maîtres. Sans identité, la peau devient la seule variable unificatrice des esclavagisés, qui y voient l’expérience commune de la traite. Ces derniers construisent donc leur groupe social autour de leur statut d’esclave et de leur relation au dominant. Cette construction du groupe par le statut d’esclave a aussi, comme corollaire, la mise en place d’un imaginaire de l’Afrique fantasmant le continent et certaines de ses figures, comme Hailé Sélassié, héros d’une Jamaïque des esclavagisés indisciplinés abandonnés par les négriers avant d’atteindre le continent.


Une culture construite sur la méfiance : 

Les groupes comme la Nation of Islam font reposer leur théorie politique sur l’idée de “connaissance de soi”, qui s’accompagne d’un ensemble de croyances complotistes qui jouent le rôle de socle commun unificateur au groupe. Chez les Five Percenters, on estime par exemple que 85% de la population est asservi par 10% de celle-ci, et que les 5% qui restent sont en charge d’apporter le savoir à la masse. Cette rhétorique complotiste, fondant l’opposition avec une classe dominante désignée, se prolonge dans le langage qu’adoptent les membres de ces groupes nationalistes, ayant notamment recours aux alphabets et mathématiques suprêmes.


Et Clay devint Ali : un nouvel Islam : 

L’Islam que porte ces groupes est anthromorphique. En ce sens, il repose sur la croyance que Dieu est incarné dans l’Homme, soit dans la personnalité du chef du groupe – pour la Nation of Islam-, soit dans celle de tous les membres du groupe – pour les Five Percenters. Les adeptes de cette approche anthropomorphique adoptent le slogan “God is man and man is god”, et ont souvent recours à des noms d’emprunts mobilisant des références religieuses. Par exemple, le boxeur Mohamed Ali tient son nom d’un changement de patronyme opéré en 1964, losqu’il rejoint la Nation of Islam et abandonne son nom d’esclave, Cassius Clay. 


Ainsi, le passage du milieu, espace transitif, a paradoxalement, en détruisant l’identité passée des esclavagisés pour en faire des esclaves, eu un effet constructeur de l’identité d’esclave, sur laquelle les afro-américains des groupes noirs islamiques ont composé. Ils créent un référentiel propre, et une identité fondée sur le rejet de la culture dominante.  Dieu est dans l’Homme noir, et il le guide vers une mission émancipatrice du peuple asservi par ses élites.


Hip-Hop et identité noire : 

La portée de ces groupes reste assez limitée. Les Five Percenters regroupent majoritairement des adeptes issus de Harlem et de quartiers voisins de New-York. Plus qu’un réel acteur politique, ces groupes représentent surtout un référentiel culturel dans l’approche de l’identité noire aux Etats-Unis. Sur ce point, le hip-hop s’est fait vecteur de ce référentiel et des théories nationalistes noires islamiques portées par la Nation of Gods and Earths. De nombreux artistes, à l’instar de Jay Z, font explicitement référence aux Five Percenters, mobilisant surtout la référence dans le cadre d’une dénonciation de la culture dominante, plus que comme une vraie filiation idéologique.

 
 
 

Commentaires


bottom of page