L’Amazonie : entre souverainetés nationales et enjeux globaux
- Nadia Foucard
- 14 mai 2024
- 5 min de lecture

« Notre maison brûle. Littéralement. La forêt amazonienne – les poumons qui produisent 20 % de l’oxygène de notre planète – est en feu. C’est une crise internationale. Membres du sommet du G7, discutons de cette première mesure d’urgence dans deux jours ! » tweetait le président Emmanuel Macron le 22 août 2019 alors que des incendies ravageaient la forêt amazonienne. Ce message, largement relayé, illustre l’urgence environnementale que représente l’Amazonie et met en lumière les attentes de la communauté internationale relativement à sa protection.
L’Amazonie, à la fois richesse écologique incomparable et foyer de défis environnementaux planétaires, est un terrain de tensions entre souverainetés nationales et enjeux globaux. Ce vaste territoire, abritant près de 400 milliards d’arbres et une biodiversité exceptionnelle, est partagé entre plusieurs pays d’Amérique du Sud, dont le Brésil, la Colombie, le Pérou et le Venezuela. Toutefois, sa préservation interpelle bien au-delà des frontières, soulevant des questions sur les rôles respectifs des États, des organisations internationales et des communautés locales. Cette tension reflète un dilemme : d’un côté, l’Amazonie est perçue comme un bien public mondial nécessitant des initiatives globales pour sa préservation ; de l’autre, les pays amazoniens revendiquent leur droit de l’exploiter, dénonçant les ingérences internationales comme du néocolonialisme. Ces perspectives divergentes compliquent la gouvernance de cette région essentielle.
Un sujet mobilisant de plus en plus la communauté internationale
L’Amazonie occupe une place centrale dans les débats environnementaux mondiaux en raison de son rôle écologique et climatique essentiel. Cette forêt, abritant plus de 16 000 espèces végétales et une biodiversité inégalée, régule les précipitations globales et stocke de grandes quantités de carbone. Elle est vitale pour stabiliser le climat mondial et atteindre les objectifs climatiques fixés par l’Accord de Paris. Cependant, la déforestation et les incendies provoquent un relâchement massif de carbone, exacerbant le réchauffement climatique.
Considérée comme un bien public mondial, l’Amazonie transcende les intérêts nationaux. Elle génère des tensions entre la souveraineté des États amazoniens, notamment le Brésil, et la responsabilité collective de la préserver pour le bénéfice de l’humanité. L’ingérence des pays du Nord, souvent perçue comme une atteinte à la souveraineté, exacerbe ces frictions. Les initiatives telles que les campagnes européennes contre les produits issus de la déforestation témoignent d’un interventionnisme croissant, parfois interprété comme du néocolonialisme par les États concernés.
Face à ces enjeux, des mécanismes internationaux comme le Fonds pour l’Amazonie ou la Déclaration sur les forêts adoptée lors de la COP26 tentent de concilier protection environnementale et respect des priorités nationales. Cependant, ces initiatives reposent généralement sur des engagements volontaires et sont dépourvues de sanctions en cas de non-respect. Par exemple, les contributions financières au Fonds pour l’Amazonie ont diminué sous la présidence de Jair Bolsonaro, révélant la fragilité des mécanismes non contraignants. La gestion de l’Amazonie nécessite d’impliquer activement les communautés autochtones, dont les savoirs traditionnels sont essentiels à la conservation de la forêt. Une gouvernance collaborative, incluant des financements basés sur des résultats comme le programme REDD+, pourrait répondre à ces défis tout en respectant la souveraineté des pays amazoniens.
La perception d’une ingérence étrangère sur un territoire souverain
Les pays amazoniens perçoivent souvent l’implication des puissances étrangères dans la gestion de l’Amazonie comme une atteinte à leur souveraineté. Cette sensibilité, exacerbée sous Jair Bolsonaro, s’inscrit dans une longue tradition de résistance nationale. Depuis la dictature brésilienne, les gouvernements successifs ont cherché à contrer l’influence étrangère en multipliant les projets de développement et en initiant des pactes régionaux tels que l’ACT (1989) ou la déclaration commune à la CNUED (1992). Ces initiatives visent à réaffirmer une souveraineté exclusive sur cet écosystème stratégique.
Les tensions se manifestent également par la marginalisation des puissances extérieures dans les discussions régionales. Considérées comme néocoloniales, elles sont souvent écartées, comme l’illustrent le rejet du Fonds Amazonie ou l’aide du G7 pour les incendies de forêt. Depuis les années 1940, des institutions comme l’UNESCO ont vu leurs propositions rejetées, reflétant une méfiance historique envers une influence étrangère jugée intrusive.
Cette défiance s’explique aussi par la volonté des pays amazoniens d’exploiter l’Amazonie à des fins économiques. Sous Jair Bolsonaro, la déforestation a augmenté pour répondre à des intérêts agricoles et miniers, malgré les pressions internationales. Cette exploitation reflète un dilemme entre le développement économique nécessaire et la préservation environnementale. Tandis que les pays amazoniens revendiquent leur droit au développement, les puissances occidentales, préoccupées par le réchauffement climatique, dénoncent cette gestion comme une menace pour un « bien commun » mondial, cristallisant ainsi un bras de fer diplomatique.
Un programme de coopération régionale répondant à des pressions vues comme néocoloniales
Les pays amazoniens rejettent souvent les interventions perçues comme néocoloniales des puissances occidentales, mais cherchent activement des solutions régionales aux problèmes de l’Amazonie, tels que les incendies de forêt. Le Pacte de Leticia (2019), signé par presque tous ces pays, et le Traité de Coopération Amazonienne, illustrent leur volonté de gérer de manière exclusive et autonome la préservation de cet écosystème. Ces initiatives traduisent une stratégie de souveraineté défensive, destinée à contrer les pressions extérieures, bien que des tensions internes, comme l’exclusion du Venezuela, compliquent parfois cette coopération.
Cependant, ces efforts régionaux sont jugés insuffisants par les puissances occidentales, exacerbant les tensions, comme en témoigne la crise diplomatique entre Jair Bolsonaro et Emmanuel Macron. La France, considérant l’Amazonie comme un “patrimoine de l’humanité”, est fréquemment en désaccord avec le Brésil, qui y voit un bien national soumis à des tentatives de colonialisme moderne. Cela a conduit à des mesures telles que le veto français contre l’accord UE-Mercosur, malgré des tentatives de dialogue sous Lula da Silva, fervent défenseur de la souveraineté brésilienne.
Ces divergences reflètent une fracture Nord-Sud ancrée dans l’histoire coloniale. L’exclusion de la Guyane française des initiatives régionales illustre ce clivage : perçue comme une terre colonisée par les pays amazoniens, elle est vue par la France comme un département à part entière. La réunion de Belém en 2023, où la France n’a participé qu’en tant qu’observateur, souligne ces tensions. Pour surmonter ces rancœurs historiques et promouvoir une coopération équilibrée, un dialogue basé sur des relations plus horizontales entre Nord et Sud est indispensable. Une telle approche pourrait aussi renforcer le soft power des pays amazoniens sur la scène internationale.
Conclusion :
Ainsi, la gestion de l’Amazonie incarne la complexité des enjeux environnementaux contemporains, où les impératifs globaux de préservation d’un écosystème vital se heurtent aux revendications de souveraineté nationale et aux aspirations économiques des pays amazoniens. Si les initiatives internationales soulignent l’urgence de protéger cette forêt, elles se heurtent souvent à des perceptions de néocolonialisme et à des résistances justifiées par des besoins de développement local. Dans ce contexte, les coopérations régionales émergent comme une voie prometteuse, bien que non exempte de défis. La situation actuelle pose néanmoins une question cruciale : comment concilier les impératifs de souveraineté et de développement avec la nécessité d’une action globale coordonnée ? L’Amazonie pourrait devenir un laboratoire d’innovation en matière de gouvernance environnementale, en imaginant des mécanismes participatifs intégrant les communautés locales et les pays voisins dans des projets transnationaux. Cette réflexion s’inscrit dans un débat plus large autour du concept de patrimoine commun de l’humanité, qui propose de dépasser les frontières nationales pour considérer certains écosystèmes comme des biens collectifs mondiaux, engageant ainsi une responsabilité partagée et des modes de gouvernance novateurs.





Commentaires