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Les notes d'analyse

L’arme des ressources: vers une guerre des minéraux critiques ?

  • Maïa Grossmann
  • 9 oct.
  • 3 min de lecture
Mine de lithium dans le désert de sel Salinas Grandes, en Argentine, Photo credit: EARTHWORKS action
Mine de lithium dans le désert de sel Salinas Grandes, en Argentine, Photo credit: EARTHWORKS action

En juillet 2023, des médias occidentaux ont révélé que les États-Unis et l’Ukraine avaient entamé des discussions avancées pour exploiter conjointement les immenses gisements de terres rares et de titane de l’est et du centre du pays. Pour Washington, il s’agissait de soutenir l’économie ukrainienne en guerre tout en réduisant sa dépendance aux métaux critiques chinois, indispensables à l’industrie de défense et à la transition énergétique.


Dans un contexte de guerre ouverte avec la Russie et de rivalité technologique avec Pékin, cette coopération illustre la montée en puissance de la dimension géoéconomique des ressources minérales. Grâce à ses réserves considérables, l’Ukraine devient un enjeu stratégique pour les puissances occidentales, bien au-delà du champ militaire immédiat.

Cette situation reflète une dynamique globale. En effet, dans la transition énergétique, les minéraux critiques jouent, aujourd’hui, le rôle qu’a tenu le pétrole au XXᵉ siècle. Lithium, cobalt, cuivre, nickel ou terres rares sont au cœur de la fabrication des batteries, éoliennes, réseaux intelligents et semi-conducteurs. Or, leur extraction et leur raffinage sont très concentrés entre quelques acteurs souvent extérieurs à l’Occident, conférant à ces États une position stratégique majeure et créant le risque d’une militarisation géoéconomique des chaînes d’approvisionnement.


La Chine raffine près de 90 % des terres rares mondiales et 60 à 70 % du lithium et du cobalt. L’extraction est dominée par la RDC (70 % du cobalt), le Chili, l’Australie (lithium), et l’Indonésie (nickel). Cette asymétrie rend les économies occidentales structurellement dépendantes à des acteurs aux intérêts parfois divergents.

L’Europe en est un exemple frappant : elle importe plus de 90 % de ses terres rares et 81 % de son lithium. Sa stratégie, adoptée en 2023, vise 10 % d’extraction et 40 % de raffinage sur le sol européen d’ici 2030, mais ces objectifs nécessitent des investissements massifs et une acceptabilité sociale incertaine.


Face à cette vulnérabilité, les grandes puissances réagissent. Washington soutient l’exploitation nationale et diversifie ses sources grâce à des partenariats avec le Canada, l’Australie et des pays africains. Bruxelles cherche à bâtir des alliances “de confiance” (Namibie, Kazakhstan, Argentine), tout en misant sur le recyclage.

Cette réorganisation intervient dans un contexte de rivalité croissante avec Pékin, qui n’hésite pas à utiliser les exportations comme levier géopolitique. En 2024, la Chine a restreint les ventes de gallium, germanium et graphite, essentiels pour les batteries et semi-conducteurs, en riposte aux contrôles américains. Ainsi, trois tendances convergent laissant imaginer une possible “guerre des minéraux”. D’abord, un regain de nationalisme des ressources: plusieurs États producteurs, tels que l’Indonésie pour le nickel ou le Chili pour le lithium, renforcent le contrôle public sur leurs gisements afin d’accroître leur pouvoir de négociation. Ensuite, une tendance à la formation de blocs géoéconomiques : les puissances occidentales tentent de bâtir des chaînes d’approvisionnement “friends-shored”, en s’appuyant sur des partenaires stratégiques, tandis que la Chine consolide un réseau Sud-Sud pour sécuriser ses flux. Enfin, une compétition accrue sur les investissements est à prévoir. La course aux gisements disponibles risque d’intensifier la concurrence pour les contrats, tout en alimentant des tensions politiques et diplomatiques dans des régions instables comme le Sahel, les Andes ou le Pacifique Sud.


Pour l’Europe, le défi est double. Industriellement, éviter une dépendance chronique en développant des capacités minières et de raffinage locales, tout en soutenant la recherche sur le recyclage. Géopolitiquement, construire une diplomatie minérale offensive, combinant accords stratégiques, financements ciblés et normes environnementales crédibles, afin de défendre ses intérêts dans une compétition mondiale exacerbée.

Comme l’énergie au siècle dernier, les minéraux critiques structurent déjà alliances, rivalités et rapports de force. Plus qu’une bataille économique, c’est une lutte pour le contrôle des fondations matérielles de la transition énergétique et numérique qui s’annonce.


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