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Les notes d'analyse

La santé mentale : un enjeu oublié des conflits actuels ?

  • Thelma Ackermann
  • 20 déc. 2024
  • 5 min de lecture
Source : Immeuble détruit après une attaque à la roquette de l’armée russe, district de Pozniaky, Kiev, Ukraine. Manhhai, CC BY (@theconversation)
Source : Immeuble détruit après une attaque à la roquette de l’armée russe, district de Pozniaky, Kiev, Ukraine. Manhhai, CC BY (@theconversation)

« L’attention portée à la santé mentale et les efforts de sensibilisation dans ce domaine n’ont jamais été aussi importants qu’aujourd’hui. » déclarait, en octobre, le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. Il souligne cependant que, alors que la priorité est donnée à la gestion des blessures physiques et des besoins primaires, les questions de santé mentale sont encore souvent reléguées au second plan dans le traitement des conflits. Or, les dommages psychologiques sont une conséquence tangible de tous les conflits armés. Ils doivent donc être considérés comme un facteur d’analyse important malgré le manque de données flagrant les concernant. 


L’OMS estime que près de 10 millions d’Ukrainiens sont exposés à des problèmes de santé mentale, dont 3,9 millions présentent des symptômes modérés à graves. Les enfants sont particulièrement impactés par cette crise. Selon une enquête de l’UNICEF, les trois-quarts des enfants et des jeunes âgés de 14 à 34 ans ont déclaré avoir besoin d’un soutien émotionnel et psychologique. Ces problématiques sont amplifiées par leur isolement social, 40% des enfants ukrainiens ne bénéficient pas d’un accès continu à l’éducation, un chiffre qui monte à mesure que l’on s’approche des zones de front. Cependant, moins d’un tiers d’entre eux ont demandé de  l’aide. Un frein lié à l’Histoire du pays où la santé mentale n’a pas toujours été reconnue. Durant la Guerre Froide, la psychiatrie était utilisée par le régime soviétique à des fins punitives contre les opposants politiques. Le secteur a également longtemps souffert d’un manque de financement des autorités publiques.


Quant aux soldats, encore plus éloignés de ces problématiques, ce sont près de 60% qui pourraient souffrir de troubles psychiques. « Nous n’avons pas la capacité de garder tous les blessés qui viennent à nous, ni de les traiter en plus pour le syndrome de stress post-traumatique. Dans le cas d’une artillerie aussi lourde, 60 à 70% des personnes concernées sont atteintes de ce syndrome. » déclare Sergueï Lysenko, le directeur général de l’hôpital directeur de Dnipro.


L’Ukraine, avec le soutien de l’OMS, a depuis 2022 mis en place un conseil de coordination intersectoriel pour la santé mentale et a lancé un programme national de santé mentale et de soutien psychosocial supervisé par la Première dame, Olena Zelenska. Certaines ONG, comme Médecins Sans Frontières, ont également mis en place des cliniques mobiles pour pouvoir toucher les populations vivant à proximité des lignes de front (26 000 consultations individuelles ont ainsi été menées en 2022 et 2023). Cette initiative a été étendue au personnel médical, particulièrement touché par la violence de guerre. L’UNICEF a également agi sur le plan de l’enfance et a permis, depuis le début du conflit, à 2,5 millions d’enfants de reprendre l’école (en ligne, ou pas). L’organisation a apporté un soutien psychosocial à 4,6 millions d’enfants et de tuteurs. Concernant les militaires, la priorité étant donnée aux soins physiques, la prise en charge de la santé mentale relève d’initiatives locales : certains centres de vétérans proposent par exemple de la méditation ou de la musicothérapie. 


La souffrance des Palestiniens dépasse « les catégories habituellement utilisées dans la psychiatrie occidentale », affirme la psychiatre cisjordanienne Samah Jabr. La crise psychologique en cours en Palestine n’est en effet pas tant liée aux récentes escalades de violences qu’aux années d’isolement et de perturbations socio-économiques. En plus des frappes aériennes et des incursions quotidiennes, les déplacements forcés, l’absence de sécurité alimentaire, d’opportunités éducatives sont à l’origine d’une souffrance généralisée chez la population. Selon Care international, en 2022, 4 enfants sur 5 étaient déjà victimes de dépression et d’anxiété dans la bande de Gaza. La moitié de la population de moins de 18 ans avait déjà pensé à se suicider.


Aujourd’hui, l’UNICEF estime que 53% des enfants gazaouis souffrent de symptômes de stress post-traumatique provoqués par l’exposition constante à des scènes de violences intenses et l’omniprésence de la mort. Des troubles, qui comme en Ukraine, sont renforcés par l’absence de stimulation et de stabilité scolaire. En septembre 2024, 625 000 enfants ont été privés pour la deuxième année consécutive d’un accès à l’école. L’éducation, malgré l’importance des besoins, est l’un des secteurs les moins financés par les appels humanitaires. Les programmes d’éducation de l’UNICEF sont par exemple confrontés à un déficit de financement de 88%. Les actions des ONG s’en retrouvent donc particulièrement limitées, ce qui pourrait avoir des conséquences durables sur l’ambition et le développement cognitif des plus jeunes. Sur le court terme, environ 85% des écoles gazaouies devront être reconstruites pour à nouveau garantir l’accès à l’éducation.


Les adultes sont également largement affectés. Hypervigilance, mutisme traumatique, état de fatigue mentale accrue, si partout sur le territoire les Palestiniens sont traités pour des blessures physiques, le soutien psychologique fait souvent défaut. Ces symptômes concernent d’autant plus les soignants, constamment confrontés à la violence, nombreux sont ceux qui développent des idées suicidaires. 


Dans ce pays dépourvu d’infrastructures consacrées à la santé mentale, le soutien à la population est mené par des organisations telles que Save the Children ou l’UNICEF à l’origine de quelques initiatives visant à fournir une aide psychologique de base. Parmi elles : la création d’espaces sécurisés pour les enfants, des programmes d’éducation émotionnelle et des activités thérapeutiques. Ces tentatives concernent cependant peu les adultes en plus de se voir menacées par l’intensification du conflit et le manque de financement. 


L’invisibilisation du conflit soudanais par la presse occidentale se ressent en particulier concernant les problématiques de santé mentale. Les articles dédiés au sujet se comptent sur les doigts d’une main. La plupart des informations sur le sujet proviennent de pays limitrophes, les actions à l’échelle nationale étant largement dédiées aux besoins primaires et à  l’aide physique. Dans les camps de réfugiés au Tchad, la Croix Rouge propose, en plus des soins médicaux de base, des cellules de soutien psychologique. Selon les chiffres de l’ONG, 80% des personnes examinées ont subi au moins un événement traumatique (viol, deuil, pillage, déplacement forcé, etc.). L’aide psychologique s’accompagne souvent d’une dimension pédagogique, la santé mentale étant encore largement stigmatisée et taboue parmi la population soudanaise. 


De façon générale, l’exposition constante à la violence et à des conditions de vie insoutenables observée dans les trois conflits va provoquer une augmentation des problèmes de santé mentale dans la population, en plus d’autres symptômes traumatiques. Certaines maladies chroniques ou des symptômes physiques (crise d’épilepsie, tension…) découlent en effet des chocs psychologiques.  Les traumatismes, au-delà des individus, impactent durablement le tissu social des pays touchés : « La guerre a des conséquences sur les relations entre les gens, leurs systèmes de croyances et de valeurs, leur vision du reste du monde. » explique Samah Jabr. Certains parents, par exemple, réagissent en devenant surprotecteurs avec leurs enfants ou au contraire, en s’en détachant complètement. Les conséquences psychologiques des conflits s’étendront sans doute sur plusieurs générations. « Les traumatismes et leurs conséquences psychologiques vont durer 35 ou 40 ans, au minimum. Tout ce qui s’est passé va se transmettre de génération en génération, on en reparlera encore dans 100 ans. »  explique Victoria Soloviova, directrice du centre de santé mentale et de soutien psychologique de Kiev. On parle ici de traumatisme intergénérationnel, qui au-delà des causes sociales, trouve une explication biologique : des niveaux de stress très élevés peuvent changer la biochimie du corps et se transmettre aux enfants par les gênes. 

 
 
 

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