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Livres de prière en hébreu

Les notes d'analyse

Normalisation ou dépendance ? Pourquoi la Jordanie ne peut tourner le dos à Israël

  • Faustine Maguin Desforges
  • 1 févr.
  • 4 min de lecture

Les derniers mois ont vu l’armée israélienne lancer des attaques sur ses deux voisins du nord, alors que les deux Etats frontaliers de l’Etat hébreu ayant normalisé leurs relations avec celui-ci n’ont pas fait l’objet des mêmes attaques. De ces deux Etats, la Jordanie est probablement celui qui a été le plus contraint de faire évoluer son récit national pour permettre la signature d’un accord.


La Jordanie a été créée en 1921 par la reconfiguration des territoires de l’ancien Empire ottoman par les puissances mandataires française et britannique. La monarchie jordanienne est issue de la promesse faite par les Britanniques au chérif Hussein de la Mecque d’un Etat arabe unifié sous son autorité s’étendant de la Mecque à la mer Méditerranée. Cette idée est un des facteurs de l’engagement jordanien dans la guerre de 1948 contre la création de l’Etat d’Israël. Cette guerre a vu une large défaite de la coalition des pays arabes mais a permis à la Jordanie d’étendre son territoire au-delà du fleuve Jourdain, en Cisjordanie. Avec la guerre des Six jours, la Jordanie perd le contrôle effectif de la Cisjordanie. Il faudra cependant attendre 1988 pour que le roi Hussein annonce le désengagement officiel de son pays de Cisjordanie, amorçant par la même occasion un changement radical de doctrine, passant de l’idée que « La Jordanie est la Palestine » à celle du refus de présenter la Jordanie comme une terre de substitution pour les Palestiniens. En 1993, les accords d’Oslo font espérer une paix imminente et encouragent la Jordanie à signer un traité de paix avec Israël, signé le 26 octobre 1994 dans le Wadi Araba en Jordanie.


Cet accord, permettant de garantir la stabilité de la frontière ouest de la Jordanie a pour autant été remis en question régulièrement par la société civile, dès sa signature. Les Jordaniens sont pour la plupart des détracteurs de l’Etat d’Israël. La réaction populaire aux différents accords économiques signés avec l’Etat hébreu depuis 1994 ainsi qu’aux incidents frontaliers ayant eu cours pendant ces années le démontre. Depuis le 7 octobre et la guerre menée par Israël dans la bande de Gaza, les contestations contre la normalisation des relations et contre l’accord de 1994 ont été ravivées. Pour autant, malgré de fortes critiques émises par le régime jordanien à l’encontre de la politique israélienne dans la région, la monarchie hachémite se refuse à remettre en question le traité de normalisation. Ainsi, sur quels éléments reposent la perpétuation de l’accord de normalisation entre l’Etat jordanien et l’Etat d’Israël ?


Le premier pilier de la perpétuation de l’accord de normalisation du côté jordanien est le pilier sécuritaire. Le traité de Wadi Araba délimite la frontière entre le territoire sous souveraineté israélienne et celui sous souveraineté jordanienne. Ce renouvellement marque la fin des prétentions jordaniennes sur la Palestine, comme la fin de la vision israélienne de la Jordanie comme terre de substitution pour les Palestiniens.


Pour garantir l’intégrité de ces frontières et la sécurité du pays au sens plus large, la Jordanie est dépendante du soutien américain, conditionné à la reconnaissance de l’Etat d’Israël. En moyenne 3 000 soldats américains sont stationnés sur son territoire. Le royaume bénéficie également de l’expertise américaine dans la formation de ses propres troupes : c’est l’opération Infinite Moonlight, lancée dans les années 1990. Cette opération consiste en la formation militaire par les Américains des troupes jordaniennes, mais également d’autres Etats de la région, sur le sol jordanien. 


Pour garantir des conditions de vie décente à sa population, l’Etat jordanien a besoin d’un approvisionnement en eau et en énergies dont il ne dispose pas. Cet approvisionnement repose notamment sur la stabilité de la région, mais aussi sur sa relation avec l’Etat d’Israël. Le premier accord officiel sur les ressources entre les deux Etats se situent au sein même du traité de Wadi Araba. Depuis, au moins trois accords ont été négociés entre les deux pays, permettant de fournir 100 millions de mètres cubes d’eau à la Jordanie et 40% de ses besoins en gaz liquéfié, en provenance d’Israël. Ces contrats ont fait l’objet de vifs débats au parlement jordanien et de manifestations de mécontentement dans la rue.


La garantie du contrat social négocié entre la monarchie hachémite et les populations tribales transjordaniennes, repose également sur la garantie de conditions de vie décentes. Pour cela, l’Etat jordanien a besoin d’argent, que les Etats-Unis lui fournissent. En 2019, les Etats-Unis ont envoyé plus de 1,5 milliards de dollars d’aide bilatérale, soit presque 3,4% du PIB jordanien. L’aide financière américaine est donc vitale pour l’économie jordanienne, tant et si bien que Pete W. Moore décrit la Jordanie selon ces termes : « un protectorat américain incapable dans les faits de prendre n’importe quelle décision budgétaire sans l’approbation de Washington ».


En conclusion, le maintien du traité de normalisation entre la Jordanie et Israël repose sur des considérations existentielles pour la Jordanie, et en particulier pour sa monarchie. De ce traité dépend l’accès aux ressources nécessaires pour la survie de sa population, et le soutien sécuritaire et financier américain essentiel à l’équilibre économique et à la paix sociale du royaume. Un autre enjeu existentiel pour la couronne jordanienne est celui de sa légitimité, reposant en grande partie sur les populations d’origine transjordaniennes, et qui se sentent de plus en plus lésées par la réduction de l’importance du secteur public au profit du secteur privé, investi par les Jordaniens d’origine palestinienne car discriminés à l’embauche dans la fonction publique. 

 
 
 

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