Sommet Italie-Algérie : les apparences sont parfois trompeuses
- Manuel Gaboriau
- 2 oct.
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 5 nov.

Le 23 juillet dernier, la Présidente du Conseil des ministres italien, Giorgia Meloni, recevait en grande pompe le Président de la République algérienne Abdelmadjid Tebboune à Rome, à l’occasion notamment de la signature de plus de trente accords commerciaux, dans le sillage de l’accord principal du 7 juillet signé à Alger, et portant sur des droits de prospection et de co-exploitation d’hydrocarbures algériens par l’ENI, équivalent transalpin de Total, et Sonatrach, la compagnie algérienne d’Etat.
Vu de France et du reste de l’Occident, cela peut surprendre. L’Italie est en effet dirigée par une coalition de droite, dominée par la droite radicale de Madame Meloni. Son parti, Frères d’Italie, est hostile à l’immigration, en particulier celle provenant du monde musulman, et se pose en défenseur de la civilisation européenne chrétienne. Sur le plan de la politique étrangère, le gouvernement Meloni s’est également distingué pour ses positions pro-occidentales, offrant un soutien sans faille à l’Ukraine et une fidélité totale à son allié américain (et ce déjà sous l’administration Biden), tout en jouant le jeu du dialogue sans chercher à renverser la table à Bruxelles. Cet alignement avec les vues de Washington est illustré par l’abandon par Giorgia Meloni dès son entrée en fonction du projet d’intégration de nos voisins transalpins aux “Nouvelles routes de la soie” de Pékin, amorcé en 2019.
A l’inverse, l’Algérie se distingue depuis son indépendance, et encore davantage ces dernières années, à mesure que les militaires qui dirigent le pays sont contestés par la rue, par un discours certes anti-Français, mais plus généralement anti-occidentaux (teinté de sporadiques références islamiques, malgré le caractère laïc du système en place). Dans la continuité de l’amitié du régime algérien avec l’URSS au sortir de l’indépendance, les dirigeants du FLN sont, dans la confrontation par procuration qui oppose aujourd’hui les occidentaux à un axe Russie-Chine-Iran, clairement positionnés en faveur de ces trois pays. Le grand adversaire de l’Algérie sur le plan régional, le Maroc (avec lequel les relations diplomatiques sont rompues depuis 2021), est lui allié aux Etats-Unis, ainsi qu’aux autres pays de l’Union européenne (en particulier la France). L’Italie est le seul des Vingt-Sept à ne pas considérer le Sahara occidental, objet principal des tensions entre Rabat et Alger, comme marocain.
Le “Plan Mattei” (qui englobe l’accord) est la stratégie du Palais Chigi (Présidence du Conseil) et du Palais de la Farnesina (le Quai d’Orsay de la botte) pour l’Afrique, annoncée dans le cadre d’un sommet Italie-Afrique à Rome en janvier 2024. Celle-ci consiste à nouer des accords de coopération avec les pays africains, pour contribuer au développement économique et au renforcement des services de sécurité de ces derniers. L’objectif affiché est clair : permettre aux Etats au sud de la Méditerranée d’éviter l’émigration de leurs ressortissants vers l’Italie et l’Europe. Le nom du plan n’est pas choisi au hasard : Enrico Mattei fut l’artisan de la conquête par l’ENI des marchés des hydrocarbures des nouveaux pays africains décolonisés, adoptant une stratégie volontairement hostile à l’égard des anciennes puissances coloniales, par une rhétorique qu’on pourrait qualifier de “tiers-mondiste” (et ce en faisant fi du passé colonial des Italiens). Les accords proposés par Mattei aux pays nouvellement indépendants pour permettre à l’ENI de se faire une place sur ces marchés étaient nécessairement plus avantageux en termes de répartition des revenus entre l’entreprise italienne exploitante et les Etats où les ressources étaient extraites.
En somme, l’Italie cherche à affirmer son indépendance stratégique, en profitant du vide laissé par la France en Afrique. C’est le soft power transalpin qui cherche à s’imposer, en se donnant une image de coopérant non-donneur de leçons. Cela a fonctionné au Mali et au Niger, lorsque la France en a été chassée et que les militaires envoyés par Rome ont pu rester.





Commentaires